Hotep ! Bienvenus dans EDA MISSO, la rubrique Woucikam du ZCL. Hotep, à vous chers téléspectateurs de Canal 10 et chers auditeurs de C10 FM.
EDA MISO a pour objectif de nous aider à mieux comprendre notre langue maternelle que l’on appelle communément le créole. Elle vise également à mieux comprendre les mythes fondateurs de nos ancêtres de la vallée du Nil dont nous avons hérité et dont nous usons aujourd’hui encore.
DZ : Jean-Luc, demain nous allons célébrer le premier mai, journée internationale de lutte des travailleurs ? Je me suis alors demandé si cette lutte de la classe ouvrière n’aurait pas débuté dès l’Égypte ?
JLD : En effet Danick, nous pourrions nous poser la question si l’on considère que l’État égyptien fut le premier à employer des fonctionnaires. Il est donc naturel que les premières revendications salariales apparaissent dès cette époque. Rappelons que l’Égypte pharaonique disposait d’une administration très structurée, d’un système économique stable et d’une monnaie propre aux échanges commerciaux. On pouvait donc y vendre sa force de travail.
DZ : Oui, mais pouvait-on vendre sa force de travail dans un pays qui dit-on pratiquait l’esclavage ?
JLD : Voyez-vous Danick, nos ancêtres nous ont laissé énormément d’archives. Et ces documents démontrent sans aucun doute que la prétendue Égypte esclavagiste n’est qu’une supercherie par laquelle certains tentent de se dédouaner. La meilleure réponse que nous pouvons opposer à cela, c’est d’aller comme Cheikh Anta Diop nous incitait à le faire, à la connaissance directe. C’est rechercher et produire les preuves.
Danik : Ils existent ces documents ? Vous en avez trouvé ?
JLD : Nous pouvons déjà citer l’extrait suivant qui relate des faits qui se sont produits dans la 29ème année de règne de Ramsès III :
« (Plainte des ouvriers au fonctionnaire compétent) « C’était à cause de la faim et de la soif que nous sommes venus ici. Nous n’avions pas de vêtements, pas d’huile, pas de poisson ni de légumes. Envoyez-le dire à Pharaon, vie, santé, force, notre Seigneur parfait. Et, envoyez le dire aussi au vizir, notre supérieur, afin qu’on nous livre notre approvisionnement… »
De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’ouvriers en grève, une grève dure afin que leurs droits soient respectés.
DZ : On se croirait en 2018 ?
JLD : Nous n’avons surtout rien inventé. De fait, nous dit Théophile Obenga, qui cite ce texte dénommé « papyrus de la grève », dans la philosophie de la période pharaonique 2780-330 avant notre ère, c’est ce qui arrivait quand, pour une raison ou une autre la chaine d’approvisionnement des ouvriers était rompue.
DZ : Certains ne seront pas de votre avis. Ils disent que les pyramides ont été construites par des esclaves. C’est d’ailleurs mentionné dans certains textes religieux.
JLD : Ils peuvent le répéter autant qu’ils le veulent, cela n’en fera pas pour autant une vérité historique. Notre travail consiste à faire en sorte que nos enfants ne soient plus éclairés que nous.
Exemple : il est dit que Ramsès II était un de ces souverains tortionnaires et esclavagistes. Or, voici ce que le souverain de la 19è dynastie écrivait de sa propre plume à ses ouvriers.
“O vous artisans d’élite, capables et forts, qui m’édifiez des monuments en grand nombre, vous qui êtes versés dans tout travail de la pierre, familiers avec le granit ! Vous habiles et zélés à construire mes monuments ! O vous les travailleurs accomplis qui êtes sans paresse, attentifs au travail, qui remplissez vôtre tâche avec mérite et conscience ! Écoutez ce que j’ai à vous dire : votre approvisionnement sera surabondant ; il n’y aura pas de carence. Votre nourriture sera très copieuse, car je connais votre travail véritablement pénible, pour lequel le travailleur ne peut exulter que lorsque son ventre est plein”. Ramses II. an 8 de son règne, stèle découverte à Menshiet es-Sad
Voilà un document qui en dit long. Il s’adresse à des travailleurs, pas à des esclaves.
‘‘Votre nourriture sera très copieuse, car je connais votre travail véritablement pénible, pour lequel le travailleur ne peut exulter que lorsque son ventre est plein”.
L’égyptien est donc un citoyen libre. L’Égypte est un pays ouvert où les étrangers peuvent venir gagner leur vie surtout quand les périodes de disette les poussent à tenter leur chance dans la vallée du Nil, comme certains le font aujourd’hui en Europe. Je préfère donc citer ces documents-là, plutôt que de répéter des propos d’X ou Y sans jamais les vérifier.
DZ : Revenons au concept du travail. Quel sont les éléments qui ont subsisté en woucikam ?
JLD : Plusieurs expressions woucikam nous relient à l’Égypte.
Le travailleur, le serviteur se dit bak.
Vous remarquerez la présence de cet ustensile dans la graphie qui est homonyme au mot qui désigne le travailleur, le servant de maison, celui qui utilise cet outil.
Il se dit bak en égyptien ancien
Kounan en bambara et désigne une grande assiette en bois
Et bakounan en woucikam ou il désigne un grand plat, une quantité gigantesque de nourriture.
Une autre façon de désigner le travail provient de cette graphie qui désigne l’action de faire.
Or, nous savons que le r se réalise en
Ceci nous conduit à lélé : faire comme dans l’expression : fè on ti lélé pou gaga vwè.
Ou encore, lélé « remuer », « secouer », « agiter »
Enfin nous devons lier également la notion de travail à l’écoulement continu du fleuve ou au transit intestinal, c’est-à-dire le circuit de la digestion lié à cette graphie
Ainsi donc, avons-nous
bemba : ubula «intestins»,
bandi : vulu «intestins»,
jowulu : wula «intestins»,
éton : wula «marcher»
fang : wulé «marcher»
duala : wala « aller»,
woucikam : woulé «marcher», «fonctionner»
vili : bula «frapper», «casser», « mettre en petits morceaux»
nyamwezy : bòòla «frapper»,
font référence au démiurge en tant que grand forgeron de l’Univers. Ce mythe est repris dans le conte dogon du renard pâle qui vole le feu du ciel et le façonne dans sa forge, donnant naissance à la civilisation.
woucikam : woulé «travailler» ou bat (battre) «travailler».
C’est ce à quoi fait référence l’artiste Jean-Michel Rotin. Le texte de sa chanson intitulée «Souchi» débute ainsi : «An té ka bat pou on mizè, senk jou pa simen san vwè tune» ( Je bossais pour une misère, cinq jours par semaine sans en voir la tune).
Et comme nous ne pouvons occulter le lien d’homonymie entre la notion de travail et la rétribution lié à ce dernier citons le :
Ndumu : gi.sari « travail », « corvée »
Lingala : kosala « travailler »
kikongo : sala « travailler »
source probable du latin « salarium »
et du français salaire.
JLD : Voici donc ce que nous pouvons dire du lien qui nous unit à nos ancêtres du continent africain. Mais vous connaissez l’adage Danick, « Sak vid paa kenn doubout ». Après avoir bien « woulé », il est plus que temps pour nous de passer à table.
C’est tout pour aujourd’hui. Fos pou tou sa ka woulé. A la semaine prochaine. HOTEP !